De la baie d’Along aux temples d’Angkor…
Claudine Bertrand, Passion Afrique. Ed. Rougier V. 2009, Revue « ficelle » n° 92
Poète, la langue désirée
« On ne sait quand commence le voyage… » Dès cette courte prose liminaire, Claudine Bertrand donne le ton de ce voyage qui conjugue la découverte géographique et celle, incessante, de son territoire langagier. Au-delà du Bénin, de sa « noire lumière » et de « la place de l’Etoile-Rouge », le poète interroge autant qu’elle s’interroge : « Que valent nos mots » ? Nullement question, ici, de traquer l’anecdote, le faire-local mais plutôt de renouer avec l’idée d’une « transculturalité ». Il y a à la fois passage et changement, pas l’un sans l’autre, le voyage poétique ayant commencé – on l’aura compris – bien avant que la terre africaine ne soit foulée. Mettant en question sa langue, et son autonomie de langue, il semble que Claudine Bertrand s’aventure dans un métissage, comme si lieux, couleurs, langues, corps, englobaient et dépassaient leurs identités respectives ou du moins prenaient en compte à la fois leur succession de lieux et de langues, leurs mutations, pour « les trier hors du banal » ou « pour défier l’imaginaire », « arracher le verbe / du verbiage du vacarme », divaguer, subvertir, réinventer. A la manière dont Hédi Bouraoui l’écrivait dans Nomadaime[1], « les mots investissent / prêts à éclore », le « livre télévoyage », autre et bel exemple de « transculturalité ». La langue ainsi voyagée, ne serait-elle pas, à poursuivre le rapprochement entre Claudine Bertrand et Hédi Bouraoui, ce « Toi »[2] – langue, « homme sauvage / à la bouche nomade », « poète de l’incertain »[3] – « hasardée entre doute et envie »[4] ? Ce tutoiement, l’auteure québécoise le reprend dans la scansion initiée par « Tabula rasa » et plus la langue est étrange, plus « Ta tête a mal / comme un vieux carrousel / qui grince », plus elle fait retour « après avoir erré », proférée sans concession par le personnage mi-masqué mi-dévoilé du « tu t’es vu refuser / tes papiers sans raison ». Jusqu’où dire ses origines de langue ?
« On ne sait quand commence le voyage […] mais on sait qu’il est contenu dans chaque seconde comme une attente ». Les limites des mots ne viennent pas de la langue en tant que telle mais – et l’expression est judicieuse – de « la queue leu leu » de mots, de cette continuité faite arbitrairement communication et que le poète brise, posant la question du poétique à l’encontre même d’un faire-poétique. Il y a dans ce livret des expressions nominales, des inversions, des allitérations qui diffractent la langue comme si le texte lui-même – hors toute continuité communément admise – était « le miroir / qui dévore les mots ». Dans cette perspective, Claudine Bertrand esquisse un contexte autre que celui d’un continent, d’un mode de vie ou d’une économie, elle ramène la langue à l’ignorance, à ce « ne pas connaître » étymologique, prononçant lucidement l’injonction à ne pas connaître, pour créer sa « Tabula rasa », qui est aussi le « gouffre », « l’extrême », « l’ombrage » consentis « pour repousser la frontière / derrière chaque syllabe ».
Le poète n’est pas – n’est plus – dans la tentation du mutisme, comme dissuadé de poursuivre son œuvre parce que pris par la contemplation du monde au point de n’avoir plus rien à y ajouter. Ainsi qu’on peut l’entendre ici et là, il n’est pas le poète acculé à ce silence altier qui sait – trop bien ! – que tant de choses ont été dites et tentées en matière de poésie. Tout comme si elle était peintre et musicienne, la « noire lumière » chez Claudine Bertrand est matière ou vibration ou « bruits » ou « gestes rituels ». Non pas prise dans une impossibilité à dire, cette « voix / appartenant à une autre langue / qui renonce à se taire »,… renoncer participant ici de sa libération, de son doute – il y a de « l’invisible » entre les signes – autant que de son désir.
Chantal Danjou pour La Roue Traversière
Au large du Sénégal
Poésie du voyage. Avec ce long poème composé à Gorée lors des Rencontres poétiques francophones internationales en 2010/12, Claudine Bertrand nous immerge au présent dans le passé de cette île, jadis sombre vivier de l’esclavage. Michel Mousseau enlumine cette vision d’une chaîne de plus de deux mètres d’îles en papiers gouachés aux couleurs de l’Afrique.
Illustrations de Michel Mousseau. Editions Vincent Rougier, France, collection « Plis urgents »
Présentation et bon de commande : fiche_souscr_senegal
Voir la présentation complète de l’ouvrage : http://claudinebertrand.fr/vient-de-paraitre-au-large-du-senegal/#more-690
L’ouvrage sera présenté en avant-première au marché de la poésie, place Saint-Sulpice à Paris
du 6 au 9 juin 2103, Editions Vincent Rougier, stand 503
Illustrations de Michel Mousseau – ISBN 978-2-913040-98-5 - Editions Vincent Rougier – Collection « Ficelle » 16 €.
Poésie du voyage Avec ce long poème composé à Gorée lors des Rencontres poétiques francophones internationales en 2010/12, Claudine Bertrand nous immerge au présent dans le passé de cette île, jadis sombre vivier de l’esclavage. Michel Mousseau enlumine cette vision d’une chaîne de plus de deux mètres d’îles en papiers gouachés aux couleurs de l’Afrique.
Présentation et bon de commande : fiche_souscr_senegal
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Préface de Louise Dupré.
Illustrations de Anne Slacik.
Coll. Typo, Editions de l’Hexagone, Montréal, 2011
La publication de cette anthologie, préparée et préfacée par Louise Dupré, rend compte de la production de la poète. Marquée par la pensée féministe des années 1970, la poésie de Claudine Bertrand s’articule autour de la quête identitaire : de l’enfance à la vie adulte, elle se dévoile entre les lignes, dans les blancs du discours. Grande lectrice , sa poésie est oeuvre de continuité. Mémoire et présent se chevauchent, femme et féminité se questionnent ; l’amoureuse, malgré les blessures, n’en continue pas moins sa quête de l’amour absolu. Écriture néanmoins lucide, vibrante de la douleur du monde, on passe de la passion dévorante, voire dévastatrice, à l’affût de la vérité, la poésie de Claudine Bertrand continue de parcourir différentes avenues. Se tissant patiemment autour de la douleur, motif qui traverse toute l’oeuvre, comme l’écrit la préfacière, cette poésie témoigne d’une quête de l’écriture au féminin; Claudine Bertrand fait entendre une subjectivité inquiète, blessée mais toujours résistante.
Source du texte : Editions de l’Hexagone.