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Un article de Chantal Danjou sur « Sous le ciel de Vézelay »

SOUS LE CIEL DE VEZELAY         Claudine Bertrand                Editions l’Harmattan, 2020

Ainsi que le mentionne la quatrième de couverture, c’est au cours d’un séjour à la maison Jules-Roy en Bourgogne, que Claudine Bertrand écrit Sous le ciel de Vézelay. Le paysage icaunais exerce une fascination sur le poète. Dès lors, son itinéraire topo-sensible évoque un « reportage poétique » plus qu’une exploration du terroir en dépit des références toponymiques. La question du lieu est posée. Mais de quel lieu s’agit-il et que recouvre et/ou recherche-t-il ? L’origine, vraisemblablement. La dédicace à Virginie, fille de l’auteur, assure une première parenté, le double ancrage charnel et affectif. L’autre filiation sera littéraire et artistique, étonnamment reliée aux quatre coins du monde, de Tagore à Calder en passant par Georges Bataille puis, bien sûr, par Jules Roy et, clin d’œil émouvant de femme à femme, par Tatiana Roy née Soukhoroukoff. Et si l’origine à son tour se dédoublait : la trajectoire d’une femme qui observe, consigne, prend conscience de l’œuvre qui court au fil des jours sans se départir de l’émerveillement ? Le choix des adjectifs qualificatifs concernant le décor en témoignent : « hallucinante ; tentaculaire ; fantomatique ; enivrante ; onirique », à travers lesquels le réel se trouve transcendé.  Les substantifs aussi renforcent l’idée d’une vision qui serait presque une mise en abyme. Sous le texte, effectivement, sourdent d’autres aventures et sources littéraires telle l’Odyssée, récurrente, des relations aux autres arts, « spectacle » et « pellicule », permettant à la fois une approche panoramique et la sensation d’infimes détails détachés du contexte pour se mêler à des impressions étrangères. Max-Pol Fouchet, si présent à Vézelay, disait, lui, qu’« il n’est rien d’autochtone tout est venu d’ailleurs »[1] tout en affirmant aussi « Ne dis jamais : / vous êtes d’ailleurs, je suis d’ici. / Ne dis jamais : / nous n’avons jamais parlé / le même langage. »[2]

C’est dans une telle ambivalence que se situe le poème, plus exactement le langage et son aventure poétique. Peut-être serait-il possible de rappeler ici la possibilité offerte par une résidence d’écriture de réunir sous son toit des auteurs venus d’horizons divers, porteurs d’alphabets contrastés, capables d’agir en retour sur le paysage, en quelque sorte de le déployer à l’infini. Si Calder est « inventeur de mobiles » titre de l’un des poèmes, C. B. agite, compose, invente, déplace. « Pluie de consonnes et de voyelles / Traduire ce qui est [3]», écrit-elle, « traduire » rendant compte du processus alchimique, « ce qui est » s’inscrivant malicieusement en italiques. De la même façon le lecteur notera l’achoppement de l’abstrait sur les détails concrets, ainsi en est-il de « Débris de langage / Alphabet de fortuité / Le long des routes / Et la pluie prend fin / En une idée germinante / Ondulante à l’infini »[4] . C’est donc un livre où le fragment et l’éphémère rencontrent la densité et l’éternité, le mobile l’immobilité, la captation la fuite, le papillon « l’idée germinante ». Ainsi « l’herbe fuit [-elle] dans tous les sens »[5] et donne une belle image du visuel de couverture de Maria Desmée dont le travail explore l’ombre et la lumière, pèlerine dans les différents points panoramiques, rassemblant paysages intérieur et géographique. Terre de passage, Vézelay, jalon du chemin de Compostelle, ce lieu permet une dernière filiation, peut-être la plus douloureuse, celle du frère mort qui se présente comme une figure à la fois tutélaire et disséminée. Les enchaînements sont alors plus rapides, « scénario / empli de sens et de vertiges »[6], « Ebahie me joins aux visiteurs »[7] – visiteurs qui sont autant des voyageurs que des spectateurs ou lecteurs, personnages du passé et du présent – « Je dépose une rose »[8] – geste qui rend hommage à l’absent comme à l’absence, ritualise le rythme ternaire de la « dépossession ; sensation ; illumination »[9] du dernier poème qui tient ensemble l’enfance douloureuse et la reconquête, le texte lyrique – « la cantilène »[10] – et le silence qui lui crée sa chambre d’écho.

Chantal Danjou



[1] Max-Pol Fouchet, Demeure le secret, p. 35, éditions Actes Sud, 1985

[2] Ibidem, p. 122

[3] Claudine Bertrand, Sous le ciel d Vézelay, p. 15

[4] Ibidem, p. 18

[5] Ibidem, p. 32

[6] Ibidem, p. 41

[7]Ibidem,  p. 65

[8]Ibidem,  p. 69

[9] Ibidem, p. 76

[10] Ibidem, p. 75