Un article de Nimrod sur « Passion Afrique »

CLAUDINE BERTRAND,

UNE PASSION LUMINEUSE

 

On ne sait à quoi tient une rencontre. Celle que j’ai eue avec le recueil de poèmes de Claudine Bertrand relève du miracle. Un miracle d’autant plus précieux qu’il témoigne du feu, le feu de la fournaise africaine. À l’ar­rivée, la poète nous donne à entendre et à voir un chant transparent, car la braise est devenue lumière, nous enveloppant sans façon, comme une nourriture ignée, presque l’orangeade qui ac­cueille l’assoiffé que le dehors inhos­pitalier a meurtri. « Noire lu­mière » — titre du premier poème qui ouvre cet ouvrage intitulé comme une déclaration d’amour, Passion Afrique­ —, est d’une lim­pidité extraordinaire. De la passion invoquée ici n’émane plus qu’une lumière printanière, forte, frétil­lante, et dont l’apai­sement constitue la matière. Pour nous en convaincre, lisons la première partie du poème :

On ne sait quand commence le voyage peut-être était-il déjà amorcé avant de fouler la terre Afrique mais on sait qu’il est contenu dans chaque seconde comme une attente.

Le tissu de nos vies

file sans reprise

ouvre un espace

où s’y glisser

comme ces mots

défilant à la queue leu leu

de débâcle en orage

ou flambée de sons

 

On ignore parfois

qui vient nous remuer

mais la sensation est là

le soleil est là

voilà des signes

nous rattachant au vivant

Claudine Bertrand atteint à l’essentiel avec ces vers-là. Ils sont dédiés à Amine Laourou, certainement un ami béninois : la poète cana­dienne est ambassadrice « en poésie » du Bénin. Elle ne pouvait recevoir de meilleure mission. Ambassadrice, elle est, en effet, mais de la lumière, de son magnétisme, de sa caresse. Claudine Bertrand a trouvé au Bénin non pas son Abyssinie, mais une manière de quête que peut-être la femme en elle était à même de restituer avec une vérité autre que celle du poète de Charleville-Mézières. Ici, rien n’est abrasif, rien qui s’apparente à la quête de l’or et au trafic d’armes. « Au-des­sus du lac Nokoué / murmure à l’oreille / aimer est une priè­re noire », confesse-t-elle. Le ton est toujours jus­te, il nous em­porte avec un brin d’amour insu, parce que le temps presse, qui est vécu, unique, essentiel, à la croisée des étoiles — et qui donc, parmi les hommes, au petit matin, quand celles-ci pâliront, nous donnera la certitude qu’elles reviendront le soir éclairer notre âme ? La beauté est comme l’amour : elle a toujours faim, même si elle ne se plaint ja­mais. Claudine Bertrand explore l’Afrique avec l’« arme miracu­leuse » qu’est l’amour, et on comprend qu’elle y réussisse avec cette grande simplicité — du moins, la simplicité du grand poète. Ayant transformé la lumière africaine, elle peut à sa guise inventer les néolo­gismes qu’elle veut — l’amour autorise tout, soutenait saint Paul !

Tes mains étrangent les plis du corps

font entrevoir de larges horizons

dans l’entrecuisse

je te supplie

de ramener le soleil à l’ombre

Claudine Bertrand prend à revers Arthur Rimbaud ; Une saison en enfer est renversée, car c’est en Afrique, plus précisément, au Bénin que la Québécoise déniche aujourd’hui les « voleurs de feu » de la mythologie occidentale. Ne lui en faisons pas grief. Ce serait oublier que, depuis les surréalistes, l’amour est devenu un outil de connais­sance pour les poètes. Oui, l’Africain sera désormais l’éclaireur de l’uni­vers : « Voleur de feu / tu portes l’art / à coups de bouts du monde ». La passion qui s’exprime dans ces vers justifie parfaitement le titre de ce recueil. En outre, on n’a jamais dit si bien et si court. Et la poète d’ajouter :

Tu es de ce côté de l’histoire

qui jamais ne commence

jamais ne finit

multiple comme les vents

            C’est l’argument imparable : chapeau bas !

NIMROD

Claudine Bertrand, Passion Afrique, « Ficelle » n° 92, sep­tembre et octobre 2009, illustrations de Michel Mousseau, éditions Rougier V. (Les Forettes 61380 Soligny-la-Trappe), 45 pages, 7 €.

 

 

 

 

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